DRACAENA DRACO
MUTIDISCIPLINARY SCIENTIFIC JOURNAL
TACTIC Editions

www.dracaena-draco.com Numéro 1, Vol. 1
Mis en ligne le 16/02/2020

NEDALI : UNE PLUME DENUDANT LA REALITE SOCIALE
NEDALI : A QUILL UNDERSSING SOCIAL REALITY

Rabab SABROU
Université Ibn Tofail -CED- Laboratoire pluridisciplinaire, littérature française, francophone et comparée
rababsabrou@msn.com

NEDALI : UNE PLUME DENUDANT LA REALITE SOCIALE

NEDALI : A QUILL UNDERSSING SOCIAL REALITY

Rabab SABROU

Université Ibn Tofail -CED- Laboratoire pluridisciplinaire, littérature française, francophone et comparée

rababsabrou@msn.com

Résumé

La production littéraire de l’écrivain francophone Mohamed Nedali reflète une réalité profonde et crue de la société marocaine aussi bien dans le fond que dans la forme. Ses œuvres varient, mais les thèmes demeurent les mêmes. À travers sa description des lieux, des personnages et des situations, une image réelle a été recueilli, véridique de la société. Son attachement à la volonté de dénuder les dysfonctionnements sociaux, en tenant une connaissance du genre et une condition humaine qu’il enlumine de tragédie avec un ton tantôt sarcastique tantôt humoristique, est révélé ici au grand jour.

MOTS CLES : Mohammed Nedali, littérature marocaine contemporaine, écrivain marocain de langue française, société.

Abstract

The literary production of the French-speaker, the writer Mohamed Nedali reflects the depth reality of the Moroccan society in form and substance. His literary works vary but the themes remain the same. Through the writer’s description of places, characters and situations, a real and truthful image of society was collected. By holding a knowledge of gender and the human condition that he illuminates with tragedy through a tone that is sometimes sarcastic, and sometimes humorous, he shows his dedication to exposing social dysfunctions.

KEY WORDS: Mohammed Nedali, contemporary Moroccan literature, Moroccan French-speaking writer, society

      Auteur de sept romans bien enracinés dans la culture marocaine, s’inspirant de la réalité quotidienne, et fascinant par le roman réaliste naturaliste, tels Balzac et Zola au XIXème siècle, Mohamed Nedali élabore pour le public des œuvres où il traite des questions qui intéressent le lecteur. Des œuvres, qui s’attachent à garder un lien étroit avec le milieu social dans lequel il a été créé.  Un écrivain qui reproduit une réalité profonde et crue d’une société dans le fond et la forme.

 Mohamed Nedali est né à Tahannaoute en 1962 dans une famille de paysans démunis. Après des études secondaires à Marrakech, il poursuit sa formation en France (licence en lettres modernes ainsi qu’un diplôme du Cycle spécial à la Faculté des Lettres de Nancy II). Professeur de français depuis 1985. Il a enseigné au lycée de Tahannaoute, ville du Maroc, située dans la région de Marrakech-Tensift-El Haouz, à 30 km au sud de Marrakech, près des montagnes du Haut Atlas. Il a pris récemment sa retraite (en 2016) et continue à faire prospérer son œuvre littéraire.  Nedali vient de signer son septième roman, Evelyne ou le djihad. Ses romans sont traduits dans plusieurs langues.

Toutes les œuvres de Mohamed Nedali ont été honorablement accueillies aussi bien par la critique littéraire que par le grand public.

Sa première œuvre Morceaux de choix, les amours d’un apprenti boucher, publiée en (2003) et rééditée en 2006. Composée de vingt chapitres, elle fut une révélation. Elle livre les tendres émois d’un jeune héros à travers une éducation sentimentale, en s’amusant éventuellement par une passion charnelle et un humour décapant.

Son deuxième roman : Grâce à jean de la fontaine, publié en 2004, présente une structure similaire à celle du roman précédent, composé de vingt-deux chapitres, portant chacun un titre suggestif. C’est un récit du terroir amplement autobiographique, empreint d’une dose d’ironie délicate et acerbe. L’histoire se résume en une année scolaire (1985-1986) passée au collège Zaïd-ou-Hmad à Tinghir en tant que professeur. Le narrateur découvre une société codifiée où se côtoient lâcheté, arrogance, corruption, népotisme et hypocrisie.  C’est une vraie jouissance d’humour et de sarcasme.

L’auteur offre par la suite à ses lecteurs un troisième roman : Le bonheur des moineaux. Publié en 2008, il présente vingt-huit chapitres. Un récit qui invite aux hauts de l’Atlas pour parler du quotidien de villageois chamboulés par la visite de la première dame des États-Unis.

Dans le roman La maison de C’cine (2010), l’auteur ne présente pas la même structure formelle des récits qui précèdent : c’est un récit enchaîné, sans chapitres. Chaque partie reprend une étape de la vie de personnage du roman. L’auteur traite donc de la condition sociale, notamment la pauvreté et les inondations qui ont frappé la montagne. Le protagoniste part donc à Marrakech. C’est dans la médina de cette ville que nous apercevons une suite de problématiques auxquelles le héros fait face et qui sont celles du Maroc d’aujourd’hui.

Dans Triste jeunesse, édité en 2012, composé de vingt-deux chapitres, la structure est similaire à celle du roman précédent, sans titres et sans numérotation, mais de longueur différente. Nedali met le doigt sur les frustrations d’une jeunesse qui vit actuellement une situation délicate.

Nedali publie en (2014) Le jardin des pleurs qui comporte trente chapitres. Il présente un couple marié qui a enduré une injustice sociale à la suite d’une agression. Nedali décide de nous narrer cette histoire sur le ton de l’amertume ; une langue à la fois acerbe et affectueuse. Il nous raconte une société marocaine en pleine mutation, mais prisonnière de systèmes si profondément ancrés qu’elle peine à s’en affranchir.

            L’écriture romanesque se nourrit des thèmes qui ont des relations plus ou moins étroites avec le social. En revanche, la création littéraire n’échappe pas à ce concept dont l’écriture se convainque par l’éclatement des systèmes de l’écriture, la violence du ton et la transgression des tabous. De ce point de vue, la littérature est un témoignage des pensées, des idées et des traditions sociales. Le roman devient donc une sorte d’atelier ou laboratoire des sciences humaines. Il nous vient ici dans l’esprit la citation de Stendhal qui évoque : « un roman c’est un miroir que l’on promène le long d’un chemin, exprime le reflet d’une société sur son époque [1]».

Dans ce sens, les tentatives de Mohamed Nedali sont d’aborder le social à travers ses œuvres, de faire exposer la présence de la société est un support de l’univers romanesque d’un côté, et dans le ‘’contexte ‘’ dans un autre côté. C’est dépeindre et décrire les abus, les failles de la société dans de nombreux aspects (religieux, politique, économique, social, philosophique, etc.) afin de toucher le bout de la logique intérieure d’une société.

À travers les récits présentés précédemment, nous ne pouvons-nous empêcher de remarquer qu’à travers cette forme romanesque, Nedali fait le procès de la société marocaine. Il questionne et interroge le Maroc profond, dans son passé, son présent, ses difficultés, ses erreurs. Il porte un regard critique sur le monde, la sociétéet les autres. Un questionnement infini dévoilant l’angoisse et l’ambiguïté, mais aussi une forme d’obscurité de la pensée humaine dont l’écriture vise à transmettre les divergences. La rupture associe d’autres procédés tels que la moquerie ou l’humour, la violence du texte ou l’embellissement dans les excès du langage.

         Morceaux de choix ou l’amour d’un apprenti boucher[2] semble être un roman d’ouverture. Il est écrit avec beaucoup d’humour. Le lecteur accompagne le jeune héros, Thami qui est un apprenti boucher, dans les ruelles de la médina de Marrakech.. De nombreux thèmes et sujets sont traités à travers l’œil du héros : l’autorité du père (aAdel), le pouvoir makhzénien dans toutes ses formes, l’injustice sociale, le copinage, le voisinage et toute la tradition de la société marocaine. Mais aussi un roman amoureux et qui prend une forme érotique.  Amoureux dans le sens qui nous dévoile un amour au sein d’une société classique, une passion contrariée sous haute surveillance des bergagas[3], et puis érotique qui présente un désir charnel et sexuel savouré par le narrateur.

Dans une langue simple et captivante, un registre charnel, Mohamed Nedali nous livre les tendres excitations de son jeune héros, cet exercice de style permet de représenter les traits de caractère de cet homme dont on connaît le nom : Thami, l’apprenti boucher, il vit presque toutes ses relations sexuelles hors mariage, il flatte également d’autres personnages féminins, depuis les filles rencontrées à la boucherie jusqu’aux femmes voilées, mariées ou divorcées. C’est à travers la description de Thami que l’auteur nous montre la sexualité et les charmes érotiques des femmes marocaines sous un angle très explicite. L’érotisation du corps, les fantasmes de Thami en tant qu’adolescent, et plus tard en tant qu’adulte, les rapports sensuels et sexuels en cachette que le narrateur ne se livrent pas, sont des thèmes saillants dans le premier écrit de Mohamed Nedali. Cependant, nombreuses thématiques sont abordées, parfois seulement inspirées : l’éducation, le voisinage, l’autorité sous toutes les formes, l’hypocrisie sociale, etc. Plusieurs couleurs de la société marocaine traditionnelle sont décrites, caricaturées et dénoncées. Cela dit, le roman reflète typiquement la société marocaine.

Certes, la description charnelle des femmes, ou à ses bien aimées à vrai dire, montre à quel point, dans certaines circonstances de la vie, l’homme, cédé à ses instincts et assuré de toutes damnations, devient plus animal, plus pervers, une créature mentalement fragile. C’était le cas de Thami. La répétition maintes fois du terme ‘’Violence’’ dans un acte sexuel, une forme particulière d’agression dans la majorité des œuvres de l’auteur. A titre d’exemple : « Avec une violence de cognée, je lançai mes quatre-vingts kilos sur elle[4]», «  (…) s’entrecoupait à présent violemment. Je glissai vite mes quatre-vingts kilos sur le côté [5]».  Les réalités, la division des normes sociales et morales, la perversion et la frustration sexuelle, additionnée au mystère de la sexualité, produisent dans l’imaginaire du romancier, des espaces, des évènements et un caprice inventif, admettant des transgressions encore hardies des valeurs éthico-sociales ; elles achèvent par des pratiques sexuelles hors normes.

Toutefois, des femmes sont décrites d’une beauté unique et angélique, cela montre le plaisir du narrateur envers la femme, en déclarant « Un monde sans femme est un monde infâme[6] ». Or, la description physique est plus envoûtante, il s’agit d’une image agaçante, méprisable et dépassée de l’être humain en général et de la femme en particulier que Nedali met en relief dans son roman, en citant « les seins », « les jambes », « la poitrine », « les fesses », c’est ce que le narrateur retient de la femme, une créature réduite à un corps « plantureux », à des « chairs appétissantes », à une « proie » destinés à satisfaire les instincts et les caprices les plus bas de l’homme. En somme, tous les hommes sont des « bêtes en rut », des « prédateurs » incapables de comprimer leurs pulsions.

Morceaux de choix met en question l’adultère.  Le noyau de ce récit est une action menée dans le secret, dans la clandestinité, avec de mensonges, des tromperies. Toutefois, des relations extra-conjugales, des aventures sexuelles, un amour sur une colline dénudée sont  traités de manière à en dévoiler les raisons, les significations, le déroulement et la progression, en mettant l’accent sur l’éclairage qu’il apporte à la réalité sociale marocaine qui ne se manifeste qu’en cachette.

       De la boucherie de Thami, nous nous dirigeons vers un univers scolaire, une image de bravoure s’est présentée dans le second roman Grâce à Jean De La Fontaine[7]. Le narrateur ‘’Mohamed Ne…’’ y raconte ses débuts d’instituteur au collège Zaïd-ou-Hmad, à Tinghir. il nous relate ses peines avec le directeur nommé (l’Émir), une personne tyrannique. Avec un ton divertissant, le narrateur dénonce la bureaucratie marocaine et l’usage du pouvoir et l’injustice de certains personnages de l’enseignement public, par exemple (le directeur, l’inspecteur, l’caïd …). Nedali raconte, par un style relevé et un vocabulaire recherché, une partie de sa vie, pleine d’ironie, nous relève ainsi un mode piégé par la force de ceux qui abusent et, par la suite, il transmet sa vision du monde à travers les personnages, par rapport au regard qu’il porte sur eux et les rapports qu’il entretient avec eux : sympathie et dégoût, nous révélera un monde fourmillant de créativité et en même temps, figé par l’enclavement et la malveillance de ceux qui abusent. Pour Nedali, personne n’a le bon rôle. Ils sont méchants, faibles, corrompus, un frérot hypocrite, un directeur ignorant et laid, un inspecteur dragueur et corrompu, des fonctionnaires inféodés.

À partir d’un fond de plus 300 pages, fruit d’une observation en milieu social marocain au quotidien, et de plusieurs années, le récit attribue des scènes de cruauté où se trouvent mis en contraste les personnages, l’espace et les situations vécues, ce qui permet de dénoncer avec force l’effondrement de la société.  Mais ce qui domine, c’est la persévérance de l’auteur sur des visions négatives, des dénonciations implicites et explicites par l’ironie et la satire. Cette insistance sur la représentation négative de la société marocaine, montre que ce roman est servi par une prose éclatante qui fait vivre avec plaisanterie, au travers de descriptions détaillées de lieux pleines de saveur. D’une part, la description de l’univers de ces petites villes, et de ces collègues de travail, y dénonce -avec un humour satirique, mettant en scène des situations hilarantes aux allures véridiques- les abus, non pas d’un système, mais d’hommes utilisant le système à leur propre avantage comme le superviseur ou le directeur nommé ‘’L’émir’’. D’autre part, une description folklorique et en bonne humeur, au dedans du collège, une atmosphère qui regroupe des clans des enseignants (ceux qui appartiennent au clan des N’Chaïtyyas (noceurs), qui sont opposés à ceux des Sloughis (gens du cru), opposés à celui des Frérots toutes-tendances)

En effet, le récit est un prétexte pour les questions qui habitent l’écrivain et qu’il soumet à l’examen sous des angles et des éclairages différents : élaborer la question de l’apprentissage, montrer les abus du directeur, la marginalisation des professeurs, la différence de sexe, le harcèlement, un certain sarcasme sur les types de clans au sein de collègue. Et c’est justement dans cette expérience d’enseignant, que l’auteur, Mohamed Nedali, se redécouvre, et livre, dans cette situation et cette condition, un message de la société.

D’autres vérités sociétales dans le milieu de l’enseignement, tempèrent la vision sombre de la société marocaine et du vécu d’un enseignant : la distribution des tableaux de service pour le professeur était aussi un exemple saillant. Par une critique et une description très fine, que le narrateur a essayé de hausser au lecteur, une image de l’exclusion et du favoritisme ou la clientélisme : l’octroi d’un avantage injustifié , et ce dernier étaient mentionnés précisément par l’auteur : l’émir (le directeur de l’établissement) était un vrai prototype concret, ses inégalités étaient aussi bien claires, lors de la distribution des tableaux de service pour les enseignants dans les débuts des années scolaires, le directeur favorise le clan des sloughis  (chiens de chasse) ainsi les personnes dépositaires d’une mission de service public.

Mohamed Nedali, bien que son récit ait une tendance autobiographique, feint de se dissocier de son narrateur et de son personnage, il n’éprouve pas le besoin de mettre des masques sur son identité, ni d’ailleurs sur celle des êtres qu’il cite : son nom ‘’Mohamed Né… ’’  Le nom de ses membres de sa famille, et collègues, des dirigeants politiques (ministre de la Jeunesse et des Sports « Semlali »). Pour être exhaustif, l’auteur ne s’éloigne pas de la réalité ; il nous fait évoquer des écrivains marocains et français dans son récit (Taher Ben Jalloun, Albert camus, Michel Butor), parfois des joueurs de football « les lions Atlas », la presse écrite Almontakhab (hebdomadaire de sport), le musicien algérien de Rai (Cheb Khaled), le joueur nigérien « Rachidi Yakini », la Cassette de la chanteuse Chebba Zehouania. De cette conception, l’auteur évoque des personnages réels, nous ouvre l’imagination sur d’autres aspects débonnaires sur un monde intérieur que nous ne voyons pas, mais nous le sentons à travers ces personnages véridiques.

             La troisième œuvre de Nedali Le bonheur des moineaux[8] (2008), parle d’un autre univers social et d’autres contingences : il y met en question une rencontre contre nature, un hasard, ou un destin, qu’un villageois marocain pauvre, un jeune guide qui s’appelle Omar du Haut Atlas qui croise sur son chemin un des grands représentants des pays développés, plus riche, un touriste, très particulier.

La vie normale et la quiétude du jeune villageois sont troublées pas des hélicoptères qui atterrèrent au bled cherchant son nom, car la 1re  Dame des Etats-Unis s’intéresse à lui. Cette rencontre accélère le dynamisme d’action de l’œuvre, des investigations à cordes sur le héros de l’histoire.

Avec une focalisation interne, Nedali lui-même nous permet de mieux comprendre les pages dans lesquelles il raconte comment le héros a une dégustation de l’espace extérieur. C’est Omar, un guide touristique qui a choisi de faire cavalier seul, même les choses avaient du mal à tourner au début de sa carrière, mais il a persisté contre vents et marées, il a fini par se faire sa propre clientèle, des clients qui venaient de France, d’Espagne, d’Angleterre, en plus d’Italiens et beaucoup d’Américains. L’importance de cet espace immanent semble grandir à mesure que l’œuvre de Nedali se développe. Omar accueillait des petits troupeaux d’une dizaine de pages à l’aéroport de Marrakech ou le village d’Imlil, après la petite fête organisée en leur honneur chez lui. Il emmenait sa « troupe » pour une randonnée d’une ou deux semaines dans les hauteurs, alternant escalades des montagnes du Haut Atlas et visites des douars rustiques plantés sur leurs flancs. Cet espace extérieur à exposer essentiellement une description détaillée qui nous fait pleinement entrer dans ce lieu et nous brosse une distinction entre les espaces : (les visites de grenier fortifié, des casbahs, des grottes, un moulin à eau, etc.

        Dans La maison de Cicine[9] (2010), l’auteur fait part aussi du départ brutal des protagonistes de leurs villes ou villages natals vers les grandes villes, à cause de la pauvreté, ou d’un phénomène naturel détruisant le lieu. La maison de Cicine traite ce point, des Berbères chassés de leur village par la misère, Idar et son frère s’enfuient de leur cité en raisons des inondations qui ont transporté leurs biens, village, maison et parents, les forçant en définitive à quitter le village dévasté pour la grande ville Marrakech.

Nous nous referons aussi au roman La maison de Cicine, à dar Louriki, une maison, un espace intérieur propice à la figuration de liens sociaux plus serrés, le récit même fictif, reste un bon échantillonnage de vie sociale marocaine. Cette maison est visiblement voulue comme microcosme social, soit une représentation minime de la société marocaine. Cette présentation expressive est implicitement présente dès le début du récit,

La crue de l’oued dévaste leur village, emporte leur maison, tue leurs parents : Idar et Cicine se retrouvent livrés à eux-mêmes. Ils décident alors de partir pour Marrakech et atterrissent à Dar Louriki, un immeuble occupé par la classe moyenne marocaine. Idar aura besoin de toute l’amour, l’affection et la jolie de Leïla pour leur résister. Un amour charnel, réciproque de deux protagonistes. Le libre cours à leur relation s’était interrompu par la contrainte sociale, par le nom de la religion (prohibition de toute relation illégitime sous le même toit). Menacés, harcelés, critiqués pour leur amour et leur relation hors mariage. Ils habitent cette maison avec d’autres personnes aux revenus modestes, dont deux étudiants d’une école coranique. Ces derniers s’emploient à convertir chacun des habitants de la maison. Seuls, Idar et sa bien-aimée Leïla résistent. Le cas de Leila et Idar du roman La maison de Cicine englobe un peu la contrainte sociale et la rupture définitive par la mort des deux protagonistes vers la fin du roman par un incendie qui se déclenche à dar Louriki.

Un autre point qui concerne cette thématique de la religion, et qui était bien détaillé dans une œuvre, nous évoquons le roman La maison de Cicine (le roman retient comme personnages centraux celui d’Idar et de H’cine (ce que le titre du roman laisse déjà croire). Le narrateur du roman nous fait visiter le musée individuel de chacun des personnages qui logent dar louriki, dont L’fkih, premier locataire, qui paraît au début promettre plus d’incidence sur le cours des événements à Dar Louriki. Dans l’analepse, on aurait cru lire un roman d’amour entre Idar, un marchand de figurines, et Leila une employée à l’hôtel, si l’arrivée du Cheikh ne donnait pas un autre ton au récit, en en faisant une critique de l’idéologie islamiste dont Dar Louriki et ses locataires seraient un symbole par la diversité et les chocs internes qu’elle abrite. Mais l’essentiel reste ailleurs, puisque la véritable aventure ne commence qu’avec l’arrivée d’un autre personnage. Donc, l’autorité et la fortune de ce représentant religieux, et plus généralement de tous ces hommes qui étaient vus comme des exemples et des idoles à suivre dans la société, dont tout le monde entendait la parole et honorait les ordres, se fondent donc dans un mensonge et une hypocrisie. Le cas du Cheikh, qualifié d’« Océan de savoirs » (p. 148). Avec cet événement, la vie dans cette maison bascule et avec lui l’enjeu du récit : qui tourne autour du conflit entre ll’adoration de Dieu et la passion des hommes. Désormais, le Cheikh, représentant de la foi et de la voix divine va « embrigader » tous les résidents de dar Loukidi en les remettant sur « le droit chemin », entraînant au passage un déséquilibre fatal dans la relation amoureuse entre les protagonistes de ce roman Idar et Leïla : Bien entendu, Cheikh faisait allusion à Leïla, la seule locataire de Dar Louriki à demeurer encore en dehors de ses rangs[10].

             S’inspirant du côté relatif de la jeunesse marocaine, Triste jeunesse[11] constitue une analyse poétiquement lumineuse d’un problème typiquement social. Voilà ce que l’auteur essaie de dire par sa littérature qui est attachée aux événements politiques et sociaux du pays.

Le roman raconte le destin des étudiants marocains d’une classe sociale pauvre, dits « diplômés chômeurs » : le roman est le récit d’un groupe de jeunes qui sont frappés de plein fouet par blocage social, économique ainsi que culturel. Triste jeunesse (2012) raconte en effet une histoire d’amour qui tourne mal entre deux étudiants de la faculté des sciences de Marrakech, Houda et Saïd, le héros-narrateur. Mais alors qu’ils s’étaient promis fidélité et réussite professionnelle, ils échouent dans la totalité de leurs concours. Piégés par un système de corruption et despotisme, ils finissent de travailler dans un Riad aménagé en maison d’hôte qui les séparera à jamais. Mais outre ce drame amoureux, le livre décrit également la réalité de la jeunesse marocaine et les problèmes identitaires et sociaux que celle-ci rencontre pour trouver son chemin dans la société, et notamment pour décrocher un emploi.

Triste jeunesse est loin d’être une production verbale régie par une procédure technique d’information et d’observation pour rendre la réalité d’une manière exacte et exhaustive. L’intérêt de l’œuvre ne réside pas dans sa valeur documentaire ; c’est l’art de la construction d’une certaine vérité, celle des jeunes qui montrent l’échec dans leur vie personnelle et professionnelle. Triste jeunesse (2012), comme le notifie clairement le titre, est bâtie sur une réalité sociale et culturelle du Maroc. Les protagonistes : Houda, Saïd et Younes subissent atrocement une pénible jeunesse, l’auteur a essayé de montrer le chemin de ces jeunes, évoqué leur état moral et physique qui s’affaiblit de jour en jour.

Houda était l’exemple de l’étudiante brillante, d’une merveilleuse assiduité, chercheure, l’exemple même de la réussite. Elle avait de bonnes notes, mais la malchance la poursuit tout au long de ses tentatives pour les concours, ENS, CPR, l’école des infirmiers. Admise à la présélection, ainsi qu’au terme de l’examen écrit, et par hasard, elle est recalée dans les épreuves orales. Au contraire de Saïd et Younes, leur nonchalance ne leur mènera nulle part, toujours recalés dans les concours de la rentrée.

« 800 candidats réussirent aux examens écrits, sans surprise, je fus parmi les recalés, mais le bonheur de savoir que Houda faisait partie des candidats admis atténua sensiblement l’impact de mon échec. » […][12]

Heureusement, elle sort toujours satisfaite de sa performance devant les examinateurs de l’épreuve orale […] « Houda réapparut dans l’encadrement de la salle d’examen. Le visage illuminé par un grand sourire de satisfaction. Je lui demandai comment elle avait trouvé les questions. À sa portée ! Largement à sa portée ! » […][13]Houda fut, sans surprise, parmi les tout premiers admis. Elle se mit immédiatement à préparer la phase orale avec l’application et le sérieux qui avaient toujours été les siens […].[14]Mais, malheureusement l’optimisme de Houda s’achève toujours par une déception, son nom ne figurait jamais dans les listes finales des admis : « […] Houda Mansouri ne figurait pas parmi les heureux élus ! Je repassai en vue les quarante noms, un par un, lentement, attentivement : le nom de mon bien-aimé n’y figurait décidément pas ! »[…][15]

D’une façon ou d’une autre, le roman est un cri d’alarme, mais aussi une formidable façon de leur dire que la vie ce n’est pas ça : la vie c’est un combat de tous les jours,  une lutte qui peut se solder une victoire. Après les essais inachevés des jeunes, ils décidaient de travailler dans la « Caravane Chems », un Riad transformé en maison d’hôtes, son propriétaire est un français nommé Jean Christophe, après avoir démissionné de son travail en France, il décide de s’installer au Maroc. Le prix est redoublé pour Houda, car elle donnait des cours de soutien des cours d’arabe dialectal pour le patron du Riad, mais ce n’était guère une affaire juteuse pour son bien-aimé. Leur couple battait de l’aile et la « traitresse » sera la jeune femme ; poussée par la misère de sa famille, le chômage de son amoureux Saïd et la perspective d’un avenir pauvre et difficile.

Graves exemples qui ont été périodiquement évoqués par Nedali et qui choquent profondément. Les procès de l’injustice sociale sont aussi présents dans les autres romans de Nedali. Par exemple, l’autorité est l’un des grands facteurs de l’injustice, c’est le pouvoir de commander, et d’être obéi. Nous constatons dans le roman Triste jeunesse, certains passages de l’injustice et qui montrent l’abus de l’autorité des gens détenant le pouvoir envers les modestes citoyens de la société, nous distinguons encore nettement les infractions des politiciens, par exemple « fraude au témoignage, fraude dans les informations, etc. »,

          Mensonge social et vérité romanesque, satire et stratégies textuelles ont été évoquées dans Le jardin des pleurs[16] (2012). Ce récit de 30 chapitres commence par des indications spatio-temporelles. En effet, le choix effectué par l’auteur peut offrir de nombreux aspects symboliques, en particulier les lieux qui symbolisent les thèmes de l’injustice sociale et la corruption.

Un sujet qui répond aux conditions du marché et reflète nécessairement le niveau de la société. Nous pouvons déjà en retenir l’exemple, dans son œuvre Le jardin des pleurs. Ici, nous sommes en présence d’un phénomène d’exploitation autoritaire. L’auteur a pour qualité première de restituer, sans aménité, une réalité douloureuse, celle d’une justice à deux vitesses dans le Maroc d’aujourd’hui. 

Le Maroc a connu, et connaît encore, des années avec conséquence dramatique, les auteurs marocains ne peuvent ignorer cette menace dès lors qu’ils situent leurs récits dans un cadre réaliste, en particulier lorsque les personnages appartiennent aux classes sociales modestes, ce qui est très souvent le cas. Mohamed Nedali a choisi de nous décrire la menace et l’injustice qui règne le Maroc à travers une histoire inspirée d’un fait divers, évoquant des personnages, deux citoyens d’une classe sociale modeste, deux personnes simples et ordinaires, qui ne cherchent qu’à vivre avec ce qu’ils sont, et avec ce qu’ils ont. Jeunes mariés, Driss et Souad savourent les plaisirs du bonheur conjugal lorsque leur vie bascule à la suite de l’agression de la jeune femme par un commissaire de police ivre. Le couple porte plainte et se heurte ainsi à la réalité immuable d’un système judiciaire pourri : corruption, népotisme, impunité, harcèlement, intimidations, abus de tout genre. Les années passent, le procès n’a jamais lieu. Souad s’entête à obtenir justice, se bat, s’use, tombe malade et finit par mourir. Le jardin des pleurs est un récit inspiré d’une histoire vraie – celle d’un procès mortel – mais que l’auteur a décidé de raconter avec humour, faisant ainsi le choix de rire d’une réalité affligeante pour ne pas avoir à en pleurer.

En fait, le roman est écrit avec une rage au cœur, d’une part une écriture chirurgicale, rien n’est laissé au hasard et autre part une écriture pleine d’humour, un ton humoristique, bien que systématiquement descriptif, atténue et adoucit la tragédie des situations réelles, décrites sans sourire. De plus, ce roman relate des faits dramatiques, puisque ce texte a davantage une valeur documentaire sociale que purement littéraire, Nedali a choisi aussi un ton ironique, sarcastique et caustique, pour exposer une réalité douloureuse, de lutte qu’est perdue d‘avance, histoire qui déclenche par les postures inconvenantes d’un chef commissaire ivre envers Souad la marie de Driss. Un récit tragique du combat entre deux simples citoyens et les autorités judiciaires marocaines.

Le Jardin des pleurs (2014) est un récit inspiré d’une histoire vraie que ­Mohamed Nedali a décidé de nous narrer sur le ton de l’animosité, avec une langue à la fois acerbe et affectueuse, l’auteur nous relate une vérité effrayante d’une société ­marocaine en pleine évolution, mais enfermée et prisonnière de systèmes. Une histoire qu’au départ on pourrait penser simple et banale, c’est finalement une peinture, une multiple facette de la société marocaine, touche de nombreux tabous ainsi explore les escalades troubles de la justice que l’écrivain l’avez passé à la claie de ces mots.

Parlant d’une corruption généralisée, c’est l’administration qui est faillible, l’éducation qui est virolée, c’est la médecine, que le moi est aléatoire, ce sont les laboratoires Business, c’est la justice qui est une non-justice, c’est aussi un monde syndical qui est mafieux, ainsi le mensonge et l’absence de moralité, c’est une vive critique des pratiques sociétales sans aucune complaisance.

          Les textes qui traient de la condition de la femme sont par bien des aspects historiques et sociaux : les éléments narrés par l’auteur sont attestés soit par les témoignages comme les faits divers rapportés dans Le jardin des pleurs, ou par les documents authentiques, voire par des expériences personnelles et intimes des lecteurs ayant vécu la période évoquée : cette écriture narrative est renforcée d’informations d’ordre sociologique.

L’œuvre de Mohamed Nedali présente une unité qui n’est pas toujours visible à première vue. Les thèmes varient certes, mais se dévoilent au lecteur petit à petit. Son univers se laisse connaître un peu plus à chaque livre. Mais à notre avis, une chose est évidente : L’auteur a mis un peu de lui dans toute son œuvre, en traitant les thématiques avec l’humeur et l’irone. Malgré cela, Mohamed Nedali semble nous dire : il ne saurait suffire de plaire, il faut prendre modèle sur la vie pour dire la vérité.

Bref, à travers les récits de l’auteur, Nedali a dénoncé, généralement par le biais d’une fiction réaliste, des difficultés sociales et leurs séquelles sur les personnes ou groupes, issus des classes populaires, qui en sont victimes. Parmi les thèmes les plus fréquents,  nous trouvons les inégalités économiques et sociales, la pauvreté et ses corollaires tels que le chômage, les conditions de travail, la santé, la violence (pouvoir et autorité), etc. Pour remédier à ces maux, l’auteur livre quelques clefs : représenter la société telle qu’elle est aux lecteurs, qu’elle soit gracieuse ou disgracieuse.

Bibliographie :

Corpus

NEDALI,M. (2003). Morceaux de choix : les amours d’un apprenti boucher. Casablanca: Ed. Le Fennec.

NEDALI,M.(2004). Grâce à Jean de La Fontaine. Casablanca : Ed. Le Fennec.

NEDALI,M.(2008- (2009)). Le bonheur des moineaux. Casablanca :Ed. Le Fennec.

NEDALI,M.(2010- (2011)).La maison de Cicine. Casablanca :Ed. Le Fennec,

NEDALI,M.(2012).Triste jeunesse, Casablanca.Ed : Le Fennec.

NEDALI,M.(2014).Le jardin des pleurs.Casablanca : Ed : Le Fennec


[1]. Stendhal, Le rouge et le noir, première apparition 1830.

Dans Le rouge et le noir, Stendhal formule une définition du roman : « un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ». 

[2]. Mohamed Nedali, Morceaux de choix. Les amours d’un apprenti boucher. Casablanca, Ed. Le Fennec, 2003.

[3]. Le mot berggaga ‘’RAPPORTEUR ‘’en français, ou quelque berguage » est mentionné plusieurs fois dans presque toutes les œuvres de Nedali, par exemple à la page 51 du roman MDCLADAB, il cite « les yeux rivés au sol pour ne pas éveiller l’attention de quelque berguage, reporteur ». Un autre exemple du même corpus du page 194 « surtout a dévoyé le flair des bergagas, les mauvais langues ». En même dans son roman GAJDLF, par exemple dans la page 200 l’auteur cite une phrase « hors portée des bergagas ! ».

[4]. Mohamed Nedali, Morceaux de choix. Les amours d’un apprenti boucher, op,cit, Page 52.

[5]. Mohamed Nedali, Morceaux de choix. Les amours d’un apprenti boucher, op,cit, Page  133.

[6]. Mohamed Nedali, Morceaux de choix. Les amours d’un apprenti boucher, op,cit, page 11.

[7]. Mohamed Nedali, Grâce à Jean De La Fontaine, Ed. Le Fennec, Casalanca, 2004

[8]. Mohamed Nedali, Le bonheur des moineaux, Ed Le Fennec, Casablanca, 2008

9. Mohamed Nedali, La maison de Cicine, Ed le Fennec, Casablanca, 2010

[10]. Mohamed Nedali, La maison de Cicine, op,cit., p. 149

[11]. Mohamed Nedali, Triste jeunesse, Ed Le Fennec, Casablanca, 2012

[12]. Mohamed Nedali, Triste jeunesse, op.cit., p 64

[13]. Mohamed Nedali, Triste jeunesse, op.cit., p 67

[14]. Mohamed Nedali, Triste jeunesse, op.cit.., p 101

[15]. Mohamed Nedali, Triste jeunesse, op.cit.., p.70

[16]. Mohamed Nedali, Le jardin des pleurs, Ed Le Fennec, Casablanca, 2014